Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PFD-173

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès de M. Leslie Hegedus, un homme de 73 ans (plaignant), survenu durant une interaction avec la police.

L’enquête

Notification de l’UES
 

Le 15 juillet 2020, à 11 h, la Police provinciale de l’Ontario a avisé l’UES de ce qui suit.

Le 15 juillet 2020, M. Hegedus s’est rendu à une épicerie où il s’est battu avec des membres du personnel à cause du port du masque. Quand il est parti du magasin, il est monté à bord de son véhicule et il est parti. En conduisant, il a endommagé d’autres véhicules. Un agent de la Police provinciale a entamé une poursuite, mais le centre de communication lui a ordonné d’y mettre un terme.

Une recherche sur la plaque d’immatriculation du véhicule conduit par M. Hegedus a révélé que la plaque était associée à une résidence sur Indian Point Road, des hautes-terres d'Haliburton.

Lorsque les agents se sont approchés de la résidence, deux coups de feu ont été tirés dans leur direction (sans qu’aucun agent soit atteint).

Les lieux ont été bouclés, et un commandement d'opérations policières en situation de crise a été mis en place. Des agents de l’escouade tactique sont alors venus sur les lieux. Des agents de l’équipe d’intervention d’urgence, soit les agents impliqués (AI) nos 2 et 1 ont tiré des coups de feu qui ont atteint M. Hegedus au bas du corps, du côté droit.

Celui-ci a été conduit à l’hôpital Haliburton Highland Health Services en ambulance.

À 13 h 9, la Police provinciale a annoncé à l’UES que M. Hegedus avait été déclaré mort à 11 h 47.

L’équipe
 

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés :     4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés :     3

Un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a photographié les lieux et les a mesurés pour permettre un mappage médicolégal. Les armes à feu et des douilles ont été récupérées. Les arbres dans le secteur inspecté ont été examinés et photographiés pour les besoins d’une analyse de trajectoire balistique. Un détecteur de métal a été utilisé pour procéder à une recherche par quadrillage.

On a ratissé le secteur à la recherche de témoins et d’enregistrements de caméras de surveillance.

Le coordonnateur des services aux personnes concernées de l’UES a été mis à contribution.

Plaignant :


Leslie Hegedus

Homme de 73 ans, décédé



Témoins civils
 

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre le 15 juillet 2020 et le 10 août 2020.

Agents témoins
 

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

L’AT no 1, l’AT no 2, l’AT no 3 et l’AT no 4 ont participé à une entrevue le 17 juillet 2020.



Agents impliqués

 

AI no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AI no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

Les agents impliqués ont participé à une entrevue le 23 juillet 2020.



Éléments de preuve

Les lieux

 

L’incident s’est déroulé dans la résidence de M. Hegedus, sur Indian Point Road, à Dysart, près de Haliburton, et dans le secteur entourant la résidence, jusqu’à une distance d’environ 150 à 200 mètres au nord sur cette route, notamment du côté est de la route et dans une zone à l’intérieur de la limite du boisé, à environ 20 mètres du bord de la route.

Avant d’entreprendre l’examen des lieux et les recherches, on a divisé le secteur en quatre zones distinctes pour faciliter le mappage.

La zone A, la plus au nord, comprenait une série de douilles de fusil de couleur argent se trouvant du côté est de la route, le long du bord d’un fossé parallèle à la route.

La zone B était au sud-est de la zone A et était située à l’intérieur de la limite du boisé du côté est de la route. Elle allait jusqu’à 4 mètres à l’intérieur du boisé et à 14 mètres de la surface de la route. On y a retrouvé un fusil, un pistolet, des vêtements et des débris de fournitures médicales.

La zone C était au sud de la zone A. Il y avait là un ensemble de douilles de fusil de couleur argent, du côté est de la route, le long du bord d’un fossé parallèle à la route.

La zone D était un petit espace dégagé du côté sud de l’allée, où se trouvaient deux douilles de fusil de couleur cuivre.

L’allée de la résidence d’Indian Point Road allait de la route jusqu’à la résidence et à d’autres bâtiments sur le terrain. Il y avait au bord de l’allée une barrière verrouillée. Une voiture de police, une Dodge Charger, était stationnée près du bord de l’allée, face vers l’ouest.

La résidence n’était pas visible à partir de la route. Le long de l’allée, il y avait d’autres bâtiments qui n’étaient pas non plus visibles à partir de la route. La porte d’allée de la résidence ne semblait pas avoir été forcée, mais la porte du garage était ouverte et la porte du garage menant à l’intérieur de la résidence semblait quant à elle avoir été forcée.

L’allée des autres bâtiments était endommagée et semblait avoir été forcée.

Il y avait un petit espace dégagé dans les buissons le long de l’allée, à environ 20 mètres de la route, du côté sud. On a retrouvé là deux douilles dans l’herbe.

Sur Indian Point Road vers le nord, à environ 1 kilomètre de l’allée de la résidence, il y avait une zone, à l’est du bord de la route allant jusque dans le fossé, où on a retrouvé plusieurs douilles.

Il y avait un autre secteur à l’est de la route, vers la limite du boisé, à environ 15 mètres de la route, et il y avait là une forte pente de roc et de terre.

Pièce no 1 – Un fusil semi-automatique Ruger Mini 14 de calibre .223 a été retrouvé au sol, la culasse fermée et le chargeur retiré. Des cartouches se trouvaient dans le chargeur. Le cran de sûreté n’était pas enclenché.

Pièce no 2 – Un pistolet semi-automatique Browning de calibre .380 a été retrouvé à environ 3 mètres du fusil, avec la culasse fermée, et il y avait aussi deux chargeurs à proximité. Des cartouches se trouvaient dans les deux chargeurs.

Pièce no 3 – Un sac à dos a été retrouvé au coin nord-est de l’espace dégagé. Un examen préliminaire du contenu a permis de trouver plusieurs boîtes de munitions de calibres .223 et .380.

Pièce no 4 – Une veste de camouflage était au sol avec le sac à dos. Il y avait des signes d’intervention par les services ambulanciers, c’est à-dire qu’elle avait été ouverte à l’aide d’un objet tranchant. Plusieurs rondes de munitions sans boîte se trouvaient directement dans diverses poches. Il y avait aussi dans l’herbe une cartouche bien visible.


Figure one
Figure 1 – Fusil Ruger Mini 14 de calibre .223

Figure two
Figure 2 – Pistolet semi-automatique Browning de calibre .380

Figure three
Figure 3 – Fusil C8 de l’AI no 2

Figure four
Figure 4 – Fusil C8 de l’AI no 1

Schémas des lieux

SD 1

SD 2

Éléments de preuves médicolégaux 
 

Liste de ce qui a été remis au Centre des sciences judiciaires et résultats

Les 32 douilles retrouvées sur les lieux par l’UES, de même que les armes à feu utilisées lors de l’incident, ont été soumises au Centre des sciences judiciaires pour analyse. Dans son rapport du 7 décembre 2020, le Centre a conclu que :

• six douilles avaient été tirées par le fusil semi-automatique Ruger de calibre .223 de M. Hegedus;
• dix-sept douilles avaient été tirées par le fusil C8 de l’AI no 2;
• neuf douilles avaent été tirées par le fusil C8 de l’AI no 1.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques 
 

Résumé de l’enregistrement vidéo d’un drone de la Police provinciale

Le drone a survolé la propriété située sur Indian Point Road en faisant l’aller-retour au-dessus de l’allée depuis la route.

Le drone a descendu au sous-sol en passant par l’escalier. Il y avait de nombreuses boîtes empilées les unes sur les autres un peu partout sur le sol et sur des étagères. Le drone est ensuite remonté au rez-de-chaussée par l’escalier.

Enregistrements des communications de la police
 

Sommaire des enregistrements des communications

Un appel au 911 a été reçu d’une femme signalant un incident au supermarché Valu-mart. Un homme avait battu un membre du personnel avant de prendre le volant d’une voiture noire, dont le numéro d’immatriculation a été fourni. Aucune ambulance n’a été appelée ni aucune arme, utilisée, seulement les poings. La voiture de l’homme était endommagée après avoir heurté l’édifice et quelques chariots du supermarché. L’homme avait frappé deux personnes dans le magasin. Il était en colère contre un employé qui lui avait demandé de porter un masque de protection.

À 8 h 19, un homme a signalé qu’un conducteur avait tenté de renverser des passants dans le stationnement du supermarché au volant d’une voiture européenne de couleur noire avant de partir en direction nord sur la route 35. Le conducteur, qui semblait sain d’esprit, était en colère en raison de la consigne de port du masque. Le véhicule était immatriculé au nom de M. Hegedus et était associé à une adresse sur Indian Point Road.

À 9 h 13, un sergent du centre de communication de la Police provinciale a fait plusieurs appels téléphoniques pour demander à des personnes d’intervenir sur les lieux de l’incident. Le sergent a indiqué qu’une poursuite s’était alors engagée, et qu’il avait ordonné d’y mettre un terme. Une route sinueuse menait à la résidence, érigée sur un terrain boisé. En 2011, cette résidence avait fait l’objet d’une plainte liée à des armes à feu.

Le centre de répartition a informé les unités en route vers la résidence que le propriétaire du véhicule immatriculé à cette adresse avait fait l’objet de plaintes relatives à des armes à feu en 2011. Des voisins avaient signalé qu’il tirait des coups de feu toute la nuit. On a indiqué aux agents d’intervenir avec précaution.

Un agent a mentionné qu’il se trouvait devant la résidence sur Indian Point Road; il ne pouvait voir jusqu’au bout de l’allée. Une inspection rapide de la propriété a permis aux agents de déceler des traces de pneus fraîches menant au garage. Ils ont alors établi un périmètre de sécurité.
On a communiqué que des coups de feu avaient été tirés (dont deux ont été entendus sur l’enregistrement). On a notamment pu entendre un agent crier de rester derrière. Un agent a aussi indiqué qu’il avait tiré des coups de feu dans le bois et qu’il n’avait rien vu.

L’ordre a été communiqué à tous les agents de s’éloigner de la propriété.

Il a été signalé que l’équipe d’intervention d’urgence était sur place et qu’il y avait des traces de pneus fraîches menant jusqu’au garage. L’homme avait tiré deux coups de feu dans le bois, mais n’avait fait aucun blessé. Les agents avaient demandé le déploiement de l’équipe d’intervention d’urgence et de l’escouade tactique, et ils réclamaient l’ordre de placer un tapis clouté au cas où M. Hegedus déciderait de partir. Quelqu’un a mentionné qu’une arrestation pour voies de fait était justifiée et que la situation menaçait la sécurité des agents.

Le sergent a fait quelques appels et a appris que les blessures de M. Hegedus étaient de nature à mettre sa vie en danger.

À 11 h 45, M. Hegedus était à l’hôpital, où il a été déclaré mort à 11 h 47, selon la personne avec qui le sergent a parlé.

Éléments obtenus auprès du Service de police
 

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants de la Police provinciale de l’Ontario :


• les notes de l’AI no 2;
• les notes de l’AT no 5;
• les notes de l’AT no 4;
• les notes de l’AT no 3;
• les notes de l’AT no 1;
• les notes de l’AT no 2;
• les notes de l’AI no 1;
• les enregistrements des communications;
• les photos de l’agent des scènes de crime;
• l’enregistrement vidéo d’un drone;
• le rapport des détails de l’incident;
• le rapport de collecte d’éléments de preuve et de biens de l’AI no 2;
• le rapport de collecte d’éléments de preuve et de biens de l’AI no 1;
• le rapport des faits relatifs à M. Hegedus;
• les registres de formation;
• le sommaire de la déposition de l’AI no 2.

Documents et éléments obtenus auprès d’autres sources


L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants de sources autres que la police :


• les rapports d’incident et d’appel d’une ambulance;
• le rapport d’analyse biologique du Centre des sciences judiciaires du 18 août 2020;
• le rapport sur les armes à feu du Centre des sciences judiciaires du 7 décembre 2020;
• le rapport préliminaire d’autopsie du 17 juillet 2020 établi par le Service de médecine légale de l’Ontario;
• le rapport d’autopsie du Bureau du coroner du 13 octobre 2020;
• la demande de permis de construire de M. Hegedus;
• la photo du permis de conduire de M. Hegedus;
• les photos de M. Hegedus prises par un civil.

Description de l’incident

Le déroulement des événements pertinents ressort clairement, d’après les éléments de preuve réunis par l’UES, notamment les entrevues avec les deux agents impliqués, plusieurs agents témoins et quelques civils qui détenaient des renseignements sur la conduite de M. Hegedus dans les moments ayant précédé la fusillade. Vers 10 h 50 le 15 juillet 2020, M. Hegedus, portant une veste de camouflage et caché dans un épais buisson au nord de sa résidence située sur Indian Point Road, a subi de multiples blessures par balle. Les blessures ont été infligées par l’AI no 1 ou l’AI no 2 ou les deux, chacun ayant fait feu à répétition avec son fusil C8 en direction de M. Hegedus, à une distance d’environ 20 mètres. Les agents ripostaient à des coups de feu. Juste avant les premiers tirs des agents, M. Hegedus avait fait feu en direction de l’AI no 1 avec un fusil de calibre .223.

La fusillade a été l’aboutissement d’une série d’événements qui ont commencé peu après 8 h au supermarché Valu-mart, à Minden. M. Hegedus était entré dans le magasin sans porter de masque de protection. Lorsqu'un employé lui a rappelé qu'il devait en porter un, M. Hegedus, en colère, a indiqué qu’il ne le ferait pas et s’est mis à frapper l’employé. Une collègue venue lui prêter main-forte a, elle aussi, été agressée par M. Hegedus. Elle est finalement parvenue à expulser M. Hegedus du magasin. Celui-ci n’avait toutefois pas fini de causer du grabuge. Il est monté à bord de son véhicule – une Alfa Romeo noire – et a foncé sur des employés du supermarché rassemblés à l’extérieur. Le véhicule de M. Hegedus a également heurté l’extérieur du magasin et plusieurs chariots avant de s’engager sur la route 35, en direction nord. La police a été appelée et informée de ce qui venait de se passer.

L’AT no 4, dépêché sur les lieux de l’incident, a vu M. Hegedus au volant de son véhicule en direction est sur County Road 21. L’agent s’est rangé derrière l’Alfa Romeo et a activé ses feux d’urgence, mais M. Hegedus a poursuivi sa route. À un moment donné, l’AT no 4 ayant manœuvré pour placer sa voiture de police le long du côté du conducteur de l’Alfa Romeo, M. Hegedus a brusquement braqué ses roues vers la gauche, ce qui a amené l’agent à freiner à fond pour éviter une collision. Les véhicules ont tourné à gauche sur la rue York, puis encore à gauche en direction nord sur l’avenue Maple, après quoi l’AT no 4 a reçu l’ordre d’un supérieur de mettre un terme à la poursuite. Il s’est aussitôt arrêté au bord de la route jusqu’à ce qu’il soit autorisé à repartir en direction de la résidence de M. Hegedus.

Vers 9 h, suivi de près par l’AT no 3, puis par l’AT no 1, l’AT no 4 est arrivé à la propriété sur Indian Point Road, soit l’adresse associée au numéro de plaque d’immatriculation du véhicule de M. Hegedus. La propriété comprenait une maison et plusieurs bâtiments à l’est de la route. La zone qui l’entourait était densément peuplée d’arbres et de broussailles. Sachant que M. Hegedus possédait des armes enregistrées et qu’il y avait déjà eu des plaintes de bruit liées à des coups de feu provenant de la propriété, l’AT no 3 et l’AT no 4 ont revêtu leur gilet pare-balles et se sont munis de leur fusil C8 avant de se diriger vers la propriété par une barrière fermée au début de l’allée menant à la maison. Les agents ont détecté ce qui semblait être des traces de pneus fraîches se rendant jusqu’au garage, mais ils n’ont pas vu M. Hegedus. De retour sur Indian Point Road, l’AT no 3 et l’AT no 4 ont fait part de leurs observations à l’AT no 1.

L’AT no 1 venait tout juste de décider de placer l’AT no 3 et l’AT no 4 et leur véhicule respectif au nord et au sud de la propriété, afin d’établir un périmètre de sécurité, lorsque M. Hegedus, dissimulé dans le boisé au sud de l’allée, a tiré deux coups avec son fusil en direction de l’AT no 1. Il était environ 9 h 30. Aucun des deux coups de feu n’a atteint l’AT no 1, qui s’est précipité pour se mettre à l’abri derrière sa voiture de police. Il a annoncé à la radio que des coups de feu avaient été tirés. Après être resté un certain temps derrière sa voiture, lorsque l’AT no 4 est revenu dans le secteur pour offrir une couverture, l’AT no 1 a couru vers le nord jusqu’à la voiture de police de l’AT no 3. Une fois rendu là, il a demandé par radio le déploiement d’agents de l’escouade tactique.

Des agents de l’équipe d’intervention d’urgence de la Police provinciale, soit l’AI no 2 et l’AI no 1, sont arrivés au poste de commandement de la Police provinciale dans le secteur de Harburn Road et d’Indian Point Road. Armés de leur fusil C8, les agents se sont dirigés vers le sud sur Indian Point Road, à la rencontre de l’AT no 1 et de l’AT no 3. L’AT no 1 les a informés des coups de feu qu’ils avaient essuyés, précisant qu’ils semblaient provenir de la résidence de M. Hegedus. L’AI no 2 et l’AI no 1 ont poursuivi leur route vers le sud.

À 15 à 20 mètres environ au nord de la résidence sur Indian Point Road, l’AI no 1 a aperçu une silhouette dans le boisé à l’est de la route sur un terrain surélevé. Il a pointé son fusil dans cette direction et a observé la silhouette se déplacer, ce qui l’a convaincu qu’il s’agissait d’une personne. L’AI no 1 a crié plusieurs fois à la personne de montrer ses mains, et l’AI no 2, courant pour prendre position au sud de cette personne, a fait de même. Il s’agissait de M. Hegedus.

M. Hegedus a tiré avec son fusil en direction de l’AI no 1, ce qui a amené l’AI no 1 et l’AI no 2 à décharger leur arme à plusieurs reprises dans sa direction. Au cours de cette fusillade, il semble que M. Hegedus ait tiré d’autres coups de feu avec son fusil avant d’être neutralisé. En tout, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont tiré 9 et 19 coups de feu, respectivement.

Après la fusillade, l’AI no 1 s’est dirigé vers le sud jusqu’à la position de l’AI no 2, d’où les agents ont pu voir M. Hegedus gisant derrière une souche d’arbre et l’entendre gémir. Le fusil reposait partiellement sur ses genoux. Les agents ont crié à M. Hegedus de montrer ses mains et ont appelé une ambulance par radio, qui attendait au nord du périmètre. N’ayant pas obtenu de réponse depuis un moment, l’AI no 2, qui avait été rejoint par l’AT no 5, un membre de l’escouade tactique arrivant sur les lieux de l’incident, s’est approché de M. Hegedus et a commencé à lui administrer les premiers soins pour ses blessures par balle.

Des ambulanciers sont arrivés sur les lieux et ont pris le relais. M. Hegedus a alors été conduit à l’hôpital, où il a été déclaré mort vers 11 h 47.

L’arme à feu de M. Hegedus – un fusil semi-automatique Ruger de calibre .223 – a été retrouvée sur les lieux, ainsi qu’un chargeur contenant 5 balles et dont la capacité était de 10 balles. On a également retrouvé sur place un pistolet semi-automatique Browning de calibre .380 et deux chargeurs assortis, de même qu’un sac à dos contenant plusieurs cartouches de munition de calibres .223 et .380.

Cause du décès

L’autopsie a révélé que M. Hegedus avait subi trois blessures par balle : une blessure par balle perforante du côté droit du dos, avec une blessure au point de sortie du côté droit de l’abdomen; une blessure par balle perforante dans la partie antérieure de l’avant-bras, qui pourrait correspondre à une seconde perforation causée par le projectile sorti de la blessure par balle perforante du côté droit du dos, et, enfin, une blessure par balle perforante du côté gauche du dos. Le médecin légiste a attribué la mort de M. Hegedus à une [Traduction] « blessure par balle du côté droit du dos ».

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime


(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.  

Analyse et décision du directeur

Le 15 juillet 2020, Leslie Hegedus est décédé à la suite de coups de feu échangés avec deux agents de la Police provinciale de l’Ontario à Dysart (Ontario). Les deux agents, soit les AI nos 1 et 2, ont été identifiés comme les agents impliqués pour les besoins de l’enquête de l’UES. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents a commis une infraction criminelle en relation avec le décès de M. Hegedus.

En vertu de l’article 34 du Code criminel, l’usage de la force, qui constituerait autrement une infraction, est légalement justifié pourvu que ce soit pour se défendre ou défendre une autre personne contre une attaque raisonnablement redoutée, à cause d’actes réels ou de menaces, à condition que la force en question soit raisonnable dans les circonstances. Pour ce qui est du caractère raisonnable de la force, elle doit être évaluée en fonction des circonstances pertinentes, notamment en tenant compte de facteurs comme « la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel, le rôle joué par la personne lors de l’incident, la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme et, enfin, la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force. À mon avis, la force employée par les AI nos 1 et 2 entrait dans les limites des justifications définies à l’article 34.

Il importe de préciser dès le départ que l’AI no 1 et l’AI no 2 étaient dans l’exercice légitime de leurs fonctions lorsqu’ils se sont approchés de la résidence de M. Hegedus, puis se sont mis à échanger des coups de feu avec lui. À ce stade, M. Hegedus avait déjà commis des voies de fait contre deux employés du supermarché Valu-mart, avait conduit dangereusement, notamment en fonçant sur des personnes, et avait fait feu à deux reprises sur l’AT no 1. Il était manifestement légitime de l’arrêter, et ce, dès que possible, compte tenu de son comportement violent.

Durant les entrevues de l’UES, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont indiqué qu’ils avaient fait feu parce qu’ils craignaient pour leur propre vie et celle d’autres personnes, et rien dans le dossier ne permet de douter de la véracité de ces déclarations. Au contraire, les circonstances ne peuvent que leur donner plus de crédibilité. L’AI no 1 venait de se faire tirer dessus par M. Hegedus à une distance d’environ 20 mètres. Au vu du dossier, j’ai la conviction que les agents ont répondu aux coups de feu croyant que c’était nécessaire pour empêcher de se faire tuer ou blesser grièvement.
Je considère en outre que les nombreux coups tirés par chaque agent vers M. Hegedus, soit 9 et 19 respectivement par l’AI no 1 et l’AI no 2, représentaient une force raisonnable. Il n’est pas vraiment possible de douter que M. Hegedus avait l’intention de tuer les agents, dont l’arrivée à sa résidence était vraisemblablement imminente, compte tenu du grabuge qu’il avait causé au supermarché Valu mart. En revenant du magasin, M. Hegedus avait revêtu une veste de camouflage, il s’était armé d’un fusil et d’un pistolet et avait pris une grande quantité de munitions pour ses deux armes, il s’était caché à différents endroits dans sa résidence et aux alentours, il avait déjà tiré deux fois sur l’AT no 1, qui avait eu la chance de ne pas être atteint. Arrivés à proximité de M. Hegedus dans un secteur boisé au nord de sa propriété et à l’est d’Indian Point Road, l’AI no 1 et l’AI no 2 lui avaient ordonné à plusieurs reprises de montrer ses mains. M. Hegedus avait pourtant refusé d’obtempérer et il s’était plutôt relevé de sa position accroupie derrière une souche d’arbre pour tirer sur l’AI no 1. À cet instant, la vie des agents était grandement menacée et, à mon avis, leur réaction a été raisonnable et proportionnelle à la menace lorsqu’ils ont décidé d’employer à leur tour une force mortelle. Un repli n’était pas une solution réaliste à ce moment. L’AI no 1 était en position vulnérable sur la route lorsque M. Hegedus a tiré pour la première fois. Chaque seconde écoulée avant qu’il se retrouve à l’abri augmentait potentiellement ses risques d’être tué. Il en allait de même pour l’AI no 2, qui avait toutes les raisons de croire que, pour protéger sa propre vie et, de manière encore plus évidente, celle de l’AI no 1, il devait neutraliser au plus vite M. Hegedus. Enfin, compte tenu que l’individu s’était intentionnellement dissimulé et que des éléments de preuve portaient à croire que M. Hegedus avait tiré peut être jusqu’à trois coups de plus après les coups de feu des agents répondant à sa première décharge, je ne peux conclure raisonnablement que le nombre de coups tirés par les agents était excessif. Je tire cette conclusion en gardant à l’esprit que M. Hegedus n’a été atteint que par trois (ou peut être deux) coups de feu, que les coups de feu se sont succédé rapidement et qu’ils ont cessé une fois qu’il est apparu évident que M. Hegedus était neutralisé et ne représentait plus aucune menace.

En dernière analyse, même si on n’a pu déterminer quel agent avait causé les blessures de M. Hegedus, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’AI no 1 ou l’AI no 2 a agi autrement qu’en toute légalité durant cet incident. Par conséquent, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire et le dossier est clos.


Date : 14 juin 2021

Signature électronique

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

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