Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TCI-271

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur une blessure grave qu’un homme âgé de 42 ans a subie le 24 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 24 septembre 2017, à 7 h 20, un membre du Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES de l’incident.

Le membre du SPT a déclaré que le 24 septembre 2017, à 1 h 51 du matin, des agents de police du SPT ont arrêté le plaignant au sud du boulevard Lake Shore Ouest, après qu’une citoyenne se fût plainte d’avoir été agressée sexuellement par lui.

Il y a eu une lutte pendant l’arrestation, et les Services médicaux d’urgence (SMU) de Toronto ont été appelés et ont transporté le plaignant au Centre de santé St. Joseph, où on lui a diagnostiqué une perforation du tympan gauche.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

homme âgé de 42 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées[1]

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AI no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le 24 septembre 2017, des agents du SPT étaient à la recherche d’une personne soupçonnée d’avoir commis de multiples agressions sexuelles le long du Boulevard Lake Shore. Toutes les agressions auraient été commises par la même personne. L’AI no 2 était l’agent en charge de l’équipe du SPT, qui comprenait aussi l’AT no 4, l’AI no 1, l’AT no 2, l’AT no 1 et l’AT no 3. Les agents travaillaient en civil et conduisaient des véhicules de police banalisés. Vers 00 h 20, ce matin‐là, il y a eu un signalement d’une autre agression sexuelle qui avait été commise près du boulevard Lake Shore et de la 36e rue par une personne qui correspondait à la description et au modus operandi (MO) du suspect. Les agents de police en uniforme ont reçu l’instruction de rester à l’extérieur du secteur, et l’équipe du SPT – à l’exception de l’AT no 3 qui est allée s’occuper de la victime de l’agression sexuelle – est arrivée pour mener une opération de surveillance.

Vers 00 h 45, l’AT no 4 a garé son véhicule banalisé près du centre de conditionnement physique du Collège Humber, sur le boulevard Lake Shore, juste à l’est de la 24e rue. Après environ une heure, l’AT no 4 a vu le plaignant à bicyclette qui circulait en direction est sur le boulevard Lake Shore. Le visage et le vélo du plaignant correspondaient à la description du suspect recherché pour les agressions sexuelles et l’AT no 4 a observé le plaignant se comporter de façon suspecte. Le plaignant roulait très lentement à bicyclette derrière une jeune femme, mais il l’a dépassée lorsque la jeune femme s’est assise sur un banc à côté d’un homme. L’AT no 4 a suivi le plaignant, qui a tourné en direction sud sur la 23e rue. Lorsque l’AT no 4 a conduit en dépassant le plaignant, ce dernier a jeté un regard sur le véhicule banalisé de l’AT no 4 puis a rapidement pédalé en sens inverse, vers le boulevard Lake Shore. Vers 1 h 46, l’AT no 4 a indiqué par transmission radio l’endroit où se trouvait le plaignant et a déclaré [traduction] « il m’a vu et il s’est vite éloigné. »

L’AI no 1 et l’AT no 4 ont entrepris de suivre le plaignant en direction ouest le long du boulevard Lake Shore. L’AI no 1 est entré sur le terrain d’un centre commercial situé à l’angle du boulevard Lake Shore et de la 30e rue, arrêtant son autopatrouille devant le plaignant. L’AI no 1 est sorti de son véhicule avec son insigne, sa carte de mandat et sa radio de police dans la main gauche, et il affirme qu’il se trouvait à moins de trois pieds du plaignant lorsqu’il a crié « Police ». Le plaignant a vu l’insigne de police, a immédiatement fait demi‐tour sur sa bicyclette et s’est enfui en direction nord sur la 30e rue. L’AT no 4, qui se trouvait non loin de là, a suivi le plaignant en direction nord sur la 30e rue et ce dernier a traversé à bicyclette plusieurs autres rues latérales. L’AI no 2 et l’AT no 6 sont aussi arrivés au centre commercial et ont vu l’AI no 1 rouler en direction nord sur la 30e rue et suivre le plaignant.

Le plaignant pédalait en direction sud sur un trottoir lorsque les agents du SPT ont à nouveau tenté de l’intercepter. Au début, l’AT no 4 a dépassé le plaignant puis a roulé sur le trottoir devant le plaignant pour lui couper la route. Le plaignant l’a évité en contournant le véhicule de l’AT no 4 avec sa bicyclette. L’AI no 2 a alors dépassé le véhicule de l’AT no 4 puis s’est placé à côté du plaignant, qui était toujours sur le trottoir. L’AI no 2 a dit à UES qu’il a regardé le plaignant dans les yeux et qu’il lui a crié [traduction] « Police. Arrêtez. » L’AI no 2 était convaincu que le plaignant savait qu’il était un policier et il s’est rangé dans l’entrée de cour située devant le plaignant. Près de l’entrée de cour se trouvait un parterre de fleurs entouré d’un petit muret d’une hauteur d’environ un pied. Le parechoc avant de l’autopatrouille de l’AI no 2 a fait contact avec le muret et le plaignant est aussi rentré dans le muret en pédalant, ce qui l’a projeté au‐dessus du guidon et l’a fait atterrir sur le sol.

Le plaignant a alors saisi sa bicyclette et a tenté d’échapper aux agents. L’AT no 6 a sauté hors du véhicule de l’AI no 2 et a couru vers le plaignant en criant [traduction] « Police. Arrêtez. » L’AT no 6 a posé ses mains sur le plaignant, mais ce dernier a réussi à se dégager de la prise de l’AT no 6. La lutte qui a suivi a été captée partiellement par une caméra de surveillance installée à l’extérieur d’une résidence voisine. Bien que les images vidéo soient de piètre qualité, on peut voir le plaignant courir dans la rue. L’AT no 2 et l’AT no 4 se trouvaient à proximité et ont saisi le plaignant. Le plaignant a tiré les policiers vers le trottoir, puis il a été mis au sol. À un moment donné, l’AI no 2 est arrivé pour aider.

Le plaignant a résisté aux agents de police en serrant ses coudes sur ses côtés, en plaçant ses mains sous sa poitrine et en entrelaçant ses doigts. Le plaignant a été maintenu au sol par l’AT no 4, l’AT no 2 et l’AI no 2. L’AI no 2 était positionné sur le côté gauche du plaignant et les AT no 4 et 2 sur son côté droit. Sur les images de la caméra de surveillance, on voit les agents répéter plusieurs fois au plaignant de laisser aller ses mains et de cesser de résister, mais le plaignant n’obtempérait pas.

L’AI no 2, l’AT no 4 et l’AT no 2 admettent tous avoir frappé le plaignant pendant qu’il était maintenu au sol. L’AT no 2 a dit à l’UES qu’il a donné un certain nombre de coups, avec la paume de la main, sur le haut du corps et sur l’épaule du plaignant, ainsi que sur le côté et le dessus de sa tête. L’AT no 2 a administré à trois ou quatre reprises des coups de distraction de « bonne force » sur la tête du plaignant pour le faire obtempérer. L’AT no 2 a également maintenu la tête du plaignant sur le sol pour que le plaignant ne subisse pas de blessures. L’AT no 4 a dit à l’UES qu’il a administré des coups de genou de distraction sur le côté droit du plaignant, au niveau de la cage thoracique, des jambes et des cuisses. L’AT no 4 a administré huit à dix coups au plaignant en utilisant la base de la paume de sa main et son genou, demandant chaque fois au plaignant de laisser aller ses mains et d’arrêter de résister.

L’AI no 2 a dit aux enquêteurs de l’UES qu’il a frappé le plaignant sur le côté gauche de la région de l’épaule afin de lui faire lâcher prise et de saisir sa main gauche. L’AI no 2 s’est alors levé et a donné deux coups de pied sur la cage thoracique du plaignant. Initialement, l’AI no 2 n’a pas dit à l’UES qu’il avait donné des coups de pied au plaignant et a admis avoir donné les coups de pied seulement après avoir visionné les séquences vidéo de surveillance. L’AI no 2 a déclaré que ce n’était pas son intention de dissimuler quelque chose et qu’il a fait de son mieux pour se souvenir de ce qu’il pouvait, mais que tout s’est passé rapidement. Le visionnement des séquences de surveillance lui a rafraîchi la mémoire et l’AI no 2 a dit qu’il n’a pas donné de coups de pied à la tête du plaignant[2]. Après avoir donné des coups de pied au plaignant, l’AI no 2 s’est immédiatement remis en position agenouillée et a continué d’essayer de tirer le bras gauche du plaignant de dessous son corps. Il est allégué qu’à ce moment‐là l’AI no 2 a donné au plaignant un coup de poing qui lui a causé une rupture du tympan.

Les agents du SPT qui se trouvaient sur le côté droit du plaignant ont pu lui dégager les mains et l’AT no 2 a réussi à menotter le plaignant au poignet droit. Le plaignant essayait constamment de se relever et se contorsionner et se retourner. La tête du plaignant continuait de se diriger vers les mains de l’AI no 2 et l’AI no 2 a crié que le plaignant essayait de le mordre. L’AI no 2 a dit à l’UES qu’il a frappé plusieurs fois le plaignant avec un poing fermé et qu’il s’est servi de la paume de sa main pour repousser la tête du plaignant à l’extérieur de ses mains pour éviter d’être mordu. Selon l’AI no 2, il se peut que ces coups aient causé la blessure du plaignant.

L’AI no 1 et l’AT no 1 sont arrivés alors que le plaignant était au sol, mais qu’il continuait de résister. L’AI no 1 a tenté de tirer la main gauche du plaignant et craignait que le plaignant ait pu dissimuler quelque chose sous son corps. Avec une main sur le dos du plaignant et l’autre sur le sol, l’AI no 1 a administré deux coups de genou en direction de l’épaule du plaignant, et les coups ont atterri sur le haut de la cage thoracique et sur l’aisselle. Le plaignant essayait de mordre la main de l’AI no 1, si bien que ce dernier a repositionné ses deux mains sur le dos du plaignant.

Des policiers en uniforme sont également arrivés, mais n’ont pas participé à la lutte. L’AT no 5 a donné à l’AT no 4 un bâton télescopique ASP qui a été utilisé pour libérer le bras gauche du plaignant. Vers 1 h 53 du matin, la main gauche du plaignant a été menottée.

Le plaignant a finalement été remis debout puis escorté à une voiture de patrouille identifiée. Il avait du sang sur le visage, et une ambulance était sur place. Le plaignant aurait reçu un diagnostic de rupture du tympan gauche qui n’a pas nécessité de traitement.

Preuve

Preuve vidéo/audio/photographique

Résumé des images vidéo enregistrées par la caméra dans la voiture de patrouille

Véhicule de police Un

Une policière non désignée est arrivée au volant de son autopatrouille, avec les feux d’urgence et la sirène activés, pour prêter assistance aux policiers du SPT. L’agente de police a garé son autopatrouille directement derrière le véhicule de police de l’AI no 2. La policière est sortie de son véhicule de police et n’a pas semblé être physiquement mêlée à l’interaction avec le plaignant.

Véhicule de police Deux

Ce véhicule de police, conduit par un agent de police non désigné, était en mouvement alors qu’il sortait d’un terrain de stationnement en tournant à gauche. Le véhicule est arrivé à une intersection. Une autre autopatrouille identifiée (le véhicule de police trois), avec les feux d’urgence activés, roulait de la droite vers la gauche. L’agent de police a tourné à gauche à la suite de l’autre véhicule de police puis l’a suivi.

Les deux véhicules de police se sont arrêtés près des lieux de l’incident. Deux autres agents de police non désignés sont sortis du véhicule de police trois et ont marché en direction nord vers le lieu de l’interaction entre les agents du SPT et le plaignant. Un policier est sorti du véhicule de police deux et a marché vers le même endroit.

Le plaignant a été conduit de l’endroit de son interaction avec les policiers du SPT jusqu’au côté conducteur du véhicule de police trois. Il y a eu une petite lutte pour lui faire prendre place à l’intérieur du véhicule de police. Un agent de police [dont on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AT no 2] est allé de l’autre côté du véhicule de police, côté passager, et s’est penché comme s’il voulait tirer le plaignant sur la banquette arrière. Les ambulanciers paramédicaux se sont approchés du véhicule de police trois. Le plaignant a été retiré de la banquette arrière du véhicule de police et examiné par les ambulanciers paramédicaux.

Véhicule de police Trois

Ce véhicule de police était arrêté près de la scène de l’incident, derrière un autre véhicule. Trois ou quatre agents de police en uniforme et trois policiers habillés en civil se trouvaient au milieu de la chaussée. Le plaignant est apparu dans le champ de la caméra devant une camionnette. Il était menotté dans le dos et flanqué d’un policier de chaque côté.

Le plaignant a été conduit jusqu’au véhicule de police trois. Le plaignant semblait se débattre. L’enregistrement audio a commencé à l’intérieur du véhicule de police. On a dit au plaignant qu’il était filmé. On lui a demandé de se calmer. L’AT no 2 est allé de l’autre côté du véhicule de police, du côté passager, et a tiré le plaignant par le bras vers l’intérieur du véhicule de police. Le plaignant avait du sang au‐dessus de l’œil droit et sur le côté droit du visage.

On a dit au plaignant qu’il était en état d’arrestation (sans préciser pour quelle infraction). On lui a lu ses droits à un avocat et la mise en garde. Il a dit qu’il ne comprenait pas. Il a dit qu’il parlait le russe ukrainien.

Résumé de l’enregistrement vidéo de TVCF

Au début, on entend de multiples sons de crissement de pneus, de freinage et un grand bruit [on sait maintenant que c’était le bruit du véhicule de police conduit par l’AI no 2 faisant contact avec le muret du parterre de fleurs].

L’AT no 4 est arrivé et s’est arrêté. Une personne a couru derrière le véhicule de l’AT no 4 et quelqu’un a crié [traduction] « Couchez‐vous à terre ». Les sons de l’échauffourée et les commandes [traduction] « Mettez vos mains dans le dos » sont entendus. Une personne placée sur le haut du côté droit du plaignant lui a administré quatre coups de poing en disant en même temps [traduction] « Mettez vos mains dans le dos ».

Le plaignant a crié « Police » et l’un des agents a répondu [traduction] « Mais c’est nous la police, ciboire! Mettez vos mains dans le dos. Donnez‐moi vos mains ».

L’AI no 2 a donné deux coups de pied sur le côté gauche du plaignant. L’AT no 2 a crié [traduction] « Merde, ma main ». L’un des agents de police a crié la commande [traduction] « Donnez‐moi vos mains, maudit! ». L’AI no 1 a administré deux coups de genou sur la partie inférieure du côté gauche du plaignant. Les policiers ont crié les commandes [traduction] « Vos mains. Donnez‐moi vos mains, calice, » « Arrêtez de résister » et « Nous sommes la police de Toronto ».

Enregistrements de communications

Résumé des enregistrements de communications

Dans l’appel initial de signalement de l’agression sexuelle, la plaignante a dit qu’un homme à bicyclette [dont on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant] l’avait touchée à l’intérieur de son chemisier. Elle en a fourni une description. Le communicateur a dit à la plaignante que les agents de police étaient en route.

Le répartiteur a demandé aux unités de se rendre sur place. L’AI no 1 a dit qu’il répondait à l’appel. Un sergent a déclaré qu’il y avait un signalement concernant un suspect recherché pour de multiples infractions semblables. L’AT no 3 a suggéré d’en aviser les agents impliqués. L’AI no 2 a dit au répartiteur que les agents impliqués interviendraient et de tenir les véhicules de police des agents en uniforme hors du secteur pour le moment. L’AI no 2 a demandé à l’AT no 3 de trouver la plaignante ayant signalé l’agression sexuelle et de s’en occuper. L’AT no 2 a confirmé l’endroit où se trouvait le suspect et la direction qu’il suivait.

L’AT no 4 a déclaré [traduction] « Peut‐être que nous tenons notre suspect, au coin de la 27e et de Lakeshore. Il se tient du côté sud. Je pense que c’est lui. Ça fait un moment qu’il est là. En face du Tim Hortons, sur le côté nord; vitesse élevée en direction ouest. Il m’a vu et il s’est éloigné rapidement ».

Un appel au 9‐1‐1 a été reçu de la TC no 6 qui demandait l’intervention de la police en disant qu’un homme était en train d’être tué. Le répartiteur lui a dit que des policiers étaient déjà là. Un autre appel au 9‐1‐1 a été reçu de la TC no 4, qui a dit [traduction] « Un type est en train de se faire tabasser ». Puis elle a ajouté que des agents de police étaient là.

L’AT no 1 a dit que le plaignant était sous garde et a demandé une ambulance.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • rapport sur les détails de l’événement et rapport d’incident général
  • registre des présences du SPT
  • notes des AT nos1 à 6, de l’AI no 1 et de l’AI no 2
  • notification des entrevues des AI
  • dossier de formation – AI no1 et AI no 2
  • enregistrements vidéo provenant des caméras à bord des véhicules de patrouille
  • documents de procédure – Arrestation et libération; Recours à la force et « Annexe B »
  • enregistrement des communications par radio

Dispositions législatives et pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Paragraphe 495 (1) du Code criminel – Arrestation sans mandat par un agent de la paix

495 (1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat :

  1. une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel
  2. une personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle; ou
  3. une personne contre laquelle, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, un mandat d’arrestation ou un mandat de dépôt, rédigé selon une formule relative aux mandats et reproduite à la partie XXVIII, est exécutoire dans les limites de la juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne

Analyse et décision du directeur

Il est allégué que l’AI no 2 a donné un coup de poing au plaignant sur l’oreille pendant une arrestation, ce qui a causé une rupture du tympan du plaignant. La nuit de l’arrestation, le plaignant a été identifié comme étant un suspect recherché pour de multiples agressions sexuelles commises le long du boulevard Lake Shore, dans la ville de Toronto. Plusieurs agents en civil du SPT se sont approchés du plaignant au volant de véhicules de police banalisés. Les agents ont affirmé qu’ils avaient été identifiés par le plaignant comme étant de la police. Le plaignant a pris la fuite et a fini par être mis au sol, où il a opposé une résistance active à son arrestation. Il ne fait aucun doute que les agents impliqués ont eu recours à la force pendant l’arrestation; durant l’échauffourée, le plaignant a reçu des coups de poing, des coups de genou et de coups de pied. Néanmoins, pour les motifs qui suivent, je ne suis pas en mesure d’établir que les agents en cause ont commis une infraction criminelle en lien avec l’allégation. Je ne répèterai pas le récit factuel de l’incident, qui se trouve dans la partie « Description » du présent rapport, à moins que cela soit nécessaire pour exposer une position que je retiens.

L’AI no 1 et l’AI no 2 ont été désignés comme agents impliqués dans l’enquête de l’UES, durant laquelle le plaignant, six témoins civils (cinq témoins oculaires et le médecin du plaignant), ainsi que les deux agents impliqués et cinq agents témoins, ont été questionnés. Les notes des deux agents impliqués ont également été examinées, de même que les enregistrements de communications par radio, les enregistrements vidéo provenant des caméras à bord des véhicules de police et la séquence vidéo d’une caméra de surveillance provenant d’une résidence située à proximité du lieu de l’arrestation.

Selon la prépondérance de la preuve, il est clair que les agents impliqués ont eu recours à une force importante sur le plaignant pendant l’arrestation. Les agents ont admis avoir employé la force, et plusieurs témoins civils ayant observé la lutte ont appelé le 9‐1‐1 pour signaler qu’une personne se faisait blesser. La question à trancher ici est de savoir si le degré de force employé pendant l’arrestation était dans les limites permises par la loi.

Je commencerais par me pencher sur la question de savoir si la police avait des motifs légitimes d’arrêter le plaignant. Aux termes de l’alinéa 495(1)a) du Code criminel, un agent de police peut arrêter une personne sans mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis un acte criminel. La nuit de l’arrestation du plaignant, les agents du SPT enquêtaient sur une série d’agressions sexuelles commises dans le secteur. De plus, on avait signalé qu’une autre agression sexuelle avait été commise par le même suspect ce soir‐là, et les agents du SPT sont arrivés pour mener une opération de surveillance. L’AT no 4 avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant avait commis l’acte criminel d’agression sexuelle après avoir vu le plaignant, dont le vélo et l’apparence correspondaient à la description du suspect, dans le secteur situé près du lieu de l’agression sexuelle signalée. De plus, le comportement du plaignant, alors qu’il suivait de près une femme, lentement et sur sa bicyclette, puis qu’il s’est rapidement éloigné en vélo lorsqu’il a vu l’AT no 4 au volant de sa voiture de police banalisée, constituait une preuve circonstancielle pouvant étayer cette conviction. L’arrestation était donc légale.

Bien qu’il soit clair que les agents ont employé la force contre le plaignant durant son arrestation, j’estime que ce recours à la force n’a pas dépassé les limites permises par la loi. En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent recourir à la force dans l’exercice de leurs fonctions légitimes pour autant que cet emploi de la force soit raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Au moment de mesurer le caractère raisonnable de cet emploi de la force, j’ai tenu compte de l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé en ces termes par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218].

De plus, j’ai tenu compte de la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), qui établit que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je suis convaincu que le recours à la force par les agents était raisonnablement nécessaire pour maîtriser le plaignant et procéder à son arrestation. Le plaignant s’était dégagé de la prise de l’AT no 6 et avait essayé de s’enfuir lorsqu’il a été intercepté par les autres agents. Il y a eu une courte lutte avant que le plaignant ne soit mis au sol et, une fois au sol, le plaignant a refusé de laisser aller ses mains en les enfouissant sous son torse. Il a fallu l’intervention de plusieurs agents pour maîtriser le plaignant, qui manifestait une force considérable et résistait activement à son arrestation. En de telles circonstances, il était raisonnable d’avoir recours à des coups de pied, des coups de genou et des coups de poing pour dégager les mains du plaignant, puisque ce dernier n’était manifestement pas disposé à coopérer sans qu’on l’y force. De plus, du fait que le plaignant avait enfoui ses mains sous son corps, la crainte de l’AI no 1 que le plaignant pouvait avoir dissimulé une arme sous lui était raisonnable et constituait une justification de plus de l’emploi de la force au moment de déterminer si le degré de la force employée était proportionnel aux circonstances. En outre, je comprends que la nature de la blessure subie par le plaignant, bien qu’elle ne soit pas négligeable, ne correspond pas pour autant à une blessure causée par une violente agression. Par conséquent, je ne crois pas que l’emploi de la force visait à blesser le plaignant, mais, plutôt, qu’il avait pour seul but de permettre l’arrestation du plaignant. À mon avis, le recours à la force était raisonnable et nécessaire dans ces circonstances pour maîtriser un homme de très grande force qui était déterminé à essayer n’importe quoi, y compris mordre, pour ne pas être arrêté.

En somme, bien qu’une force importante ait été employée contre le plaignant pendant son arrestation, la force employée dans ces circonstances était légale en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel. Par conséquent, je n’ai aucun motif raisonnable de croire que l’AI no 1 ou l’AI 2, ou tout autre agent du SPT, ait commis une infraction criminelle en lien avec l’allégation, de sorte qu’aucune accusation ne sera portée.

Date : 30 août 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] L’AT no 3 n’a pas été questionné par l’UES au motif qu’il n’avait pas participé à l’arrestation du plaignant. [Retour au texte]
  • 2) [2] Il n’est pas allégué que l’AI no 2 a donné un coup de pied sur la tête du plaignant. [Retour au texte]

Note:

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