Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 25-TCI-057
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Contenus:
Mandat de l’UES
L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.
En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.
Restrictions concernant la divulgation de renseignements
Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales
En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
- le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
- des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
- des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
- des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
- des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
- des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée
En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
- de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
- des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
- les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
- des renseignements sur le lieu de l’incident;
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.
Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé
En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.
Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.
Exercice du mandat
En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.
Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, elle perd une partie du corps ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.
De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.
Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 57 ans (plaignant).
L’enquête
Notification de l’UES[1]
À 7 h 43 le 12 février 2025, le Service de police de Toronto a communiqué avec l’UES pour lui transmettre les renseignements qui suivent.
À 14 h le 11 février 2025, le plaignant a été arrêté à un centre commercial par des agents de sécurité après avoir menacé un employé de banque. À 14 h 6, l’agent témoin (AT) no 1 et l’AT no 2 sont arrivés sur les lieux et ont mis le plaignant sous garde sans le moindre incident parce qu’il avait menacé un employé de banque et enfreint une condition de libération. Une coupure au-dessus de l’œil droit du plaignant a été observée au moment de son arrestation par les agents de sécurité du centre commercial. Le plaignant a été conduit au poste de la division 31 et amené devant l’agent impliqué (AI) no 1 à 14 h 50 et, vu la blessure au-dessus de l’œil droit, il a été conduit à l’Hôpital Humber River. Plus tard, le plaignant a reçu son congé de l’hôpital et a été conduit au poste de la division 32, où il est arrivé à 19 h 22. Le plaignant a été enregistré au poste de la division 32 par l’AI no 2 et placé dans une cellule, et a par la suite fait l’objet d’une surveillance régulière. À 19 h 30, le plaignant a retiré sa chaussure droite et a mis une main devant sa bouche, ce qui donnait l’impression qu’il ingérait une substance inconnue. À 19 h 36, le plaignant a enlevé sa chaussure gauche, en a sorti un sac bleu et a encore une fois porté la main à sa bouche, pour, encore une fois, potentiellement avaler quelque chose, après quoi il s’est étendu et s’est endormi. À 22 h 48 et 22 h 53, quelqu’un est passé voir comment allait le plaignant, et il semblait alors respirer normalement. À 23 h 28, le témoin employé du service (TES) no 1 est allé voir comment se portait le plaignant, qui semblait inconscient et en arrêt respiratoire. Le TES no 1 est alors entré dans la cellule et a tenté de réveiller le plaignant, mais sans succès. Une ambulance a alors été appelée. À 23 h 50, le plaignant est arrivé à l’Hôpital général de North York. Il a alors été intubé et transféré à l’unité de soins intensifs, où il est demeuré dans un état critique.
L’équipe
Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 12 février 2025, à 8 h 5
Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 12 février 2025, à 9 h 48
Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1
Personne concernée (« plaignant ») :
Homme de 57 ans; n’a pas participé à une entrevue (introuvable).
Témoin civil
TC A participé à une entrevue.
Le témoin civil a participé à une entrevue le 13 février 2025.
Agents impliqués
AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
Agents témoins
AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.
AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.
Les agents témoins ont participé à une entrevue le 21 février 2025.
Témoins employés du service
TES no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.
TES no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.
Les témoins employés du service ont participé à une entrevue le 21 février 2025.
Éléments de preuve
Les lieux
Les événements en question se sont déroulés dans une cellule du poste de la division 32 du Service de police de Toronto et à proximité.
Éléments de preuve matériels
Le spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu sur les lieux, soit au bloc cellulaire de la division 32 du Service de police de Toronto. La cellule du plaignant était aménagée de façon standard et comportait une couchette fabriquée d’un matériau renforcé avec une toilette et un lavabo. Un sandwich emballé se trouvait sur le sol et un petit morceau de plastique arraché était sur la couchette. Une petite étiquette et un sac de plastique froissé se trouvaient sur le sol du couloir et des inscriptions indiquaient une intervention des services ambulanciers. Une caméra vidéo a été observée dans le couloir directement en face de la porte de la cellule.
Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[2]
Enregistrements audio des communications du Service de police de Toronto
Le 11 février 2025, à 12 h 3 min 17 s, un employé de banque a appelé le 911 pour signaler un client [maintenant identifié comme le plaignant] qui avait téléphoné à ligne de services bancaires et dit qu’il allait se rendre à la succursale d’un centre commercial [adresse fournie] de Toronto pour faire du mal à quelqu’un. Le plaignant était en colère à cause d’une anomalie dans son compte bancaire. La banque avait déjà été avisée, et le plaignant y était déjà connu pour avoir déjà causé des problèmes.
Vers 13 h 2 min 41 s, le TC a appelé le 911 pour signaler un incident lié aux services bancaires en ligne. Le plaignant s’était rendu à la succursale et avait été escorté jusqu’à la sortie par des agents de sécurité du centre commercial environ dix minutes auparavant.
Vers 13 h 35 min 6 s, le centre de répartition a demandé que des agents de police se rendent au centre commercial en relation avec des appels au 911. Une unité (AT no 1 et AT no 2) a annoncé qu’elle se rendrait sur les lieux.
Autour de 14 h 5 min 27 s, l’AT no 1 a avisé le centre de répartition que le plaignant était sous garde et il a demandé une ambulance pour faire examiner une coupure près de l’œil gauche du plaignant.
À environ 14 h 29 min 57 s, l’AT no 1 a indiqué qu’il était en route vers le poste de la division 31 avec le plaignant. Les ambulanciers avaient terminé leur examen et avaient laissé partir le plaignant.
Vers 14 h 40 min 8 s, l’AT no 1 a indiqué qu’il était arrivé.
À environ 15 h 21 min 44 s, l’AT no 1 a signalé qu’il était en route vers l’Hôpital Humber River.
À approximativement 18 h 34 min 10 s, l’AT no 1 a avisé qu’il était en route vers le poste de la division 32.
Autour de 23 h 36 min 2 s, le poste de la division 32 a demandé une ambulance pour le plaignant, qui respirait, mais était inconscient.
Vers 23 h 51 min 7 s, le plaignant était en route vers l’Hôpital général de North York.
Enregistrements de la caméra d’intervention, de la caméra interne de voiture et de la caméra de garde à vue
Le 11 février 2025, à 13 h 56 min 43 s, l’AT no 1 parlait avec un homme au téléphone cellulaire. L’homme a signalé qu’une personne [maintenant identifiée comme le plaignant] avait appelé la banque, parlé avec un superviseur et dit quelque chose du genre : [Traduction] « Vous feriez mieux de ne pas me provoquer ni m’empêcher de faire ce que je veux. C’est seulement dix ans pour tentative de meurtre, et je vais me pointer à la succursale. » Les gardiens de sécurité du centre commercial surveillaient aussi le plaignant. L’AT no 1 a signalé qu’il était à la succursale et qu’il allait parler au personnel pour préparer un plan de sécurité. Le plaignant allait être arrêté s’il se présentait à la banque, puisqu’une condition de libération lui interdisait d’y mettre les pieds.
Vers 14 h 2 min 42 s, l’AT no 1 et l’AT no 2 étaient positionnés à l’extérieur de la banque, à l’entrée. L’AT no 1 a dit : [Traduction] « [Prénom du plaignant], qu’est-ce qui se passe? » Le plaignant s’est avancé vers les agents. Il avait une ecchymose à l’œil droit et du sang lui coulait de l’œil droit sur la joue. L’AT no 1 a demandé au plaignant ce qu’il avait à l’œil. Celui-ci a répondu : [Traduction] « Je me suis fait pousser. » L’AT no 1 a ensuite demandé : [Traduction] « Qui vous a poussé? » Ce à quoi le plaignant a répondu : [Traduction] « Euh, le garde, les gardiens, peu importe. » L’AT no 1 a alors demandé : [Traduction] « Où n’avez-vous pas le droit d’aller? » Le plaignant a rétorqué : [Traduction] « Écoutez. Tout ce que je veux, c’est mon argent. » L’AT no 1 lui a expliqué : [Traduction] « Des conditions vous interdisent de venir dans cet immeuble, des conditions de droit criminel, vous comprenez? Et vous revenez encore. Nous allons donc malheureusement devoir vous arrêter, vous voyez? Alors mettez les mains derrière le dos. » L’AT no 1 et l’AT no 2 ont passé les menottes au plaignant, avec les mains derrière le dos. L’AT no 2 a demandé à celui-ci s’il avait besoin d’une ambulance pour sa blessure à la tête, et le plaignant a refusé. L’AT no 1 lui a demandé s’il avait quelque chose sur lui, ce à quoi le plaignant a réponse : [Traduction] « Non. » L’AT no 1 a ensuite fouillé les poches du plaignant.
Autour de 14 h 8 min 48 s, le plaignant était assis sur la banquette arrière d’une voiture de police.
À environ 14 h 47 min 43 s, l’AT no 1 a ouvert la portière et a ordonné au plaignant de sortir de la voiture de police. Celui-ci a suivi de plein gré l’AT no 1.
Autour de 15 h 21 min 11 s, on avait une vue de la salle d’enregistrement à partir de derrière le comptoir d’enregistrement. Une porte dans le coin gauche du champ était ouverte, et on entendait l’AT no 1 en train de discuter avec le plaignant dans l’aire de transfert. Le plaignant a proféré des jurons. Il est entré dans la salle d’enregistrement. Il avait les mains menottées derrière le dos et un pansement sur le sourcil droit. L’AT no 2 a ordonné au plaignant de se placer debout devant le comptoir. Il s’est placé à cet endroit avec les AT nos 1 et 2 à ses côtés et il a ensuite été amené devant l’AI no 1. L’AT no 2 a signalé qu’une fouille par palpation a été effectuée et que seuls quelques papiers avaient été trouvés. Vu que le plaignant portait plusieurs couches de vêtements, l’AT no 2 a demandé une autre fouille. L’AI no 1 a demandé au plaignant ce qu’il avait à la tête. Celui-ci a répondu qu’un gardien de sécurité du centre commercial l’avait poussé et qu’il était tombé et s’était cogné sur un radiateur. Il s’est plaint de douleur à l’épaule et a dit ne pas avoir d’idées suicidaires ni l’intention de se faire du mal et a précisé qu’il n’avait pas consommé d’alcool ni d’autres substances. L’AI no 1 a demandé au plaignant s’il avait de la drogue en sa possession, et le plaignant a répondu : [Traduction] « Non Monsieur ».
À environ 15 h 29 min 9 s, l’AT no 1 a procédé à une fouille par palpation sur le plaignant.L’AT no 1 lui a retiré ses menottes. L’AI no 1 ainsi qu’un agent spécial ont prêté assistance à l’AT no 1 et à l’AT no 2 pour la fouille. La veste et le chandail chaud du plaignant ont été retirés. Lorsqu’on lui a dit d’enlever son chandail à capuchon, le plaignant a demandé à aller à l’hôpital parce qu’il avait mal à la tête. Il a ensuite retiré son chandail à capuchon et s’est tourné vers le mur pour placer ses mains contre le mur. L’AT no 1 a fouillé le haut du corps, les poches, puis le bas du corps du plaignant. Celui-ci a ensuite reçu l’ordre de retirer ses chaussures.
Vers 15 h 32 min 59 s, l’AT no 1 et l’AT no 2 ont chacun attrapé l’une des chaussures pour l’examiner.
Autour de 15 h 33 min 33 s, l’AT no 1 a tiré sur le lacet pour l’enlever et a ensuite entré sa main gauche gantée dans la chaussure.
Vers 15 h 33 min 42 s, l’AT no 2 a enlevé le lacet de l’autre chaussure et a semblé entrer sa main gauche gantée dans la chaussure.
À environ 15 h 34 min 0 s, le plaignant s’est assis sur un banc, a retiré ses chaussettes et les a remises à l’AT no 1. Les chaussettes ont été examinées, puis redonnées au plaignant pour qu’il les remette.
Vers 15 h 37 min 24 s, le plaignant a dit qu’il avait mal à la tête et avait besoin de voir un médecin. Il a demandé à être conduit à l’hôpital. L’AI no 1 lui a dit qu’on allait l’amener à l’hôpital.
En route, le plaignant a tenu les propos suivants : [Traduction] « Non, je ne peux pas. Je suis prêt à me tuer, merde. Pas question de retourner en prison. Pas à mon âge. Jetez-moi sur la 401. Je m’en fous, j’en ai assez. »
Autour de 18 h 39 min 15 s, le plaignant était assis sur la banquette arrière de la voiture de police. Il avait un bandage qui lui entourait la tête (après la consultation à l’Hôpital Humber River).
Vers 18 h 57 min 58 s, la voiture de police s’est immobilisée. L’AT no 1 a avisé le plaignant des accusations antérieures contre lui et des conditions de sa libération, dont l’interdiction de se présenter au centre commercial.
À environ 19 h 13 min 40 s, le plaignant a dit : [Traduction] « S’il vous plaît, tirez-moi dessus, merde! Tuez-moi. Je ne veux plus être ici. »
Autour de 19 h 26 min 1 s, on avait une vue sur la salle d’enregistrement du poste de la division 32. Le plaignant a été amené devant l’AI no 2, à qui il a été dit que le plaignant avait été escorté à l’hôpital à partir du poste de la division 31 et que le médecin lui avait ensuite donné son congé. L’AT no 1 a retiré les menottes. Le plaignant n’a pas été autorisé à entrer son manteau dans la cellule, car comme on lui a expliqué, la fois d’avant où on l’avait autorisé à prendre son manteau, il y avait, dissimulé à l’intérieur, du crack que la police n’avait pas trouvé durant la fouille. Le plaignant a été escorté hors de la salle d’enregistrement par l’AT no 1 et l’AT no 2, ainsi qu’un agent spécial pour être placé dans une cellule[3].
Vers 19 h 27 min 51 s, le plaignant s’est assis sur la couchette, du côté droit de la cellule. Il s’est penché vers l’avant, et sur le côté, par moments. Il s’est levé à deux reprises pour ramasser de petits morceaux de papier, puis il les a jetés.
Autour de 19 h 30 min 56 s, le plaignant a retiré sa chaussure droite et l’a prise dans ses mains. À cause de la position d’un barreau de la cellule, il était difficile de voir ce qu’il faisait avec sa chaussure. Le plaignant s’est assis sur la couchette, avec les jambes pendantes sur le côté et le haut du corps tourné du côté opposé à la caméra. Il était difficile de voir ce qu’il faisait.
Vers 19 h 32 min 30 s, le plaignant a remonté les jambes et s’est étendu sur le côté droit. L’image a figé, puis l’enregistrement a repris. Le plaignant s’est assis et a porté la main droite à sa bouche.
Aux environs de 19 h 34 min 3 s, le plaignant a porté la main droite à sa bouche.Il avait une chaussure sur la cuisse. Il l’a tripotée, puis l’a remise à son pied.
Vers 19 h 36 min 16 s, le plaignant a enlevé sa chaussure gauche et a regardé à l’intérieur. Il s’est frotté le pied gauche et a remis la chaussure. Il s’est ensuite servi de ses deux mains pour déballer quelque chose. Il a ensuite mis les deux mains dans les poches avant de son chandail à capuchon. Par la suite, il s’est étendu sur le côté droit, après quoi il a appuyé la tête contre le mur, tout en étant étendu sur le dos, les genoux fléchis.
Autour de 19 h 39 min 10 s, l’enregistrement a sauté à 20 h 21 min 14 s. Le plaignant était étendu sur le dos, avec un genou fléchi et l’autre jambe étendue. Les TES nos 2 et 1 sont entrés dans le champ de la caméra, par la gauche, et sont allés voir dans la cellule, du côté droit du plaignant, avant de ressortir.
Vers 20 h 43 min 4 s, le TES no 2 a placé un objet blanc sur le sol, à la base du grillage de la cellule du plaignant. Le coin d’un bras entrait périodiquement dans le champ de la caméra, par la droite.
Autour de 22 h 48 min 22 s, le TES no 1 est entré dans la cellule du plaignant et a observé celui-ci.
À environ 22 h 53 min 55 s, les TES nos 1 et 2 sont entrés dans le champ de la caméra par la gauche et ont observé le plaignant.
Vers 22 h 54 min 37 s, les TES nos 1 et 2 sont sortis du champ de la caméra par la gauche.
À approximativement 23 h 28 min 4 s, le TES no 1 est entré dans le champ de la caméra par la gauche et a déverrouillé la cellule. Les TES nos 1 et 2 ont pénétré dans la cellule et ont secoué la jambe droite du plaignant. Le TES no 1 a ensuite tendu la main droite vers le torse du plaignant. Le TES no 2 a alors secoué la jamble droite du plaignant avec vigueur.
Autour de 23 h 30 min 23 s, les TES nos 1 et 2 sont sortis de la cellule, qu’ils ont verrouillée derrière eux, puis ils sont sortis du champ de la caméra par la gauche.
Vers 23 h 32 min 31 s, le TES no 1 et le TES no 2 sont entrés dans le champ de la caméra par la gauche, ont ouvert la porte de la cellule et sont entrés. Le TES no 1 s’est mis à masser le sternum du plaignant, qui est resté sans réaction.
À environ 23 h 33 min 11 s, le TES no 2 a secoué le pied droit du plaignant, tandis que le TES no 1 continuait de masser le sternum du plaignant.
Vers 23 h 33 min 34 s, les TES nos 1 et 2 sont sortis de la cellule.
Autour de 23 h 34 min 43 s, les TES nos 1 et 2 ainsi que l’AI no 2 ont pénétré dans la cellule. L’AI no 2 a attrapé la jambe droite du plaignant à deux mains en tirant dessus, faisant ainsi glisser celui-ci sur la couchette. L’AI no 2 a tiré sur la jambe droite du plaignant encore une fois et lui a frotté le sternum. L’AI no 2 ainsi que les TES nos 1 et 2 sont sortis de la cellule.
Vers 23 h 40 min 17 s, le TES no 1 est entré dans le champ de la caméra par la gauche et a observé le plaignant. Il est alors entré de nouveau dans la cellule et a touché le pied droit du plaignant, puis a tiré sur son bras gauche.
À environ 23 h 42 min 51 s, le TES no 1 a pénétré dans le champ de la caméra par la gauche, avec deux ambulanciers qui le suivaient. Ceux-ci se sont occupés du plaignant.
À environ 23 h 45 min 16 s, les ambulanciers ont installé le plaignant sur une civière, qui a ensuite été sortie de la cellule, et les ambulanciers ont alors prodigué des soins au plaignant dans le couloir.
Documents obtenus du service de police
L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, le Service de police de Toronto entre le 14 février 2025 et le 1er mars 2025 :
- les notes de l’AT no 1, de l’AT no 2, du TES no 1 et du TES no 2;
- la procédure relative aux fouilles de personnes;
- la procédure relative aux personnes sous garde;
- les questions posées durant le processus d’enregistrement
- le rapport d’enregistrement (plaignant);
- l’historique des interactions du plaignant avec le Service de police de Toronto
- le rapport d’incident général;
- l’enregistrement de la caméra d’intervention
- l’enregistrement de la caméra interne du véhicule;
- l’enregistrement vidéo de la garde à vue;
- les enregistrements des communications.
Éléments obtenus auprès d’autres sources
L’UES a obtenu les documents suivants d’autres sources entre le 13 février 2025 et le 25 février 2025 :
- le rapport d’appel d’ambulance des services ambulanciers de Toronto;
- le résumé détaillé de l’incident des services ambulanciers de Toronto
Description de l’incident
Le scénario qui suit ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, y compris les entrevues avec les agents témoins et les autres témoins ainsi que les enregistrements vidéo ayant capté une partie de l’incident. Les deux agents impliqués ont refusé de participer à une entrevue de l’UES et de fournir leurs notes relatives à l’incident, comme la loi les y autorise.
Le plaignant a été arrêté dans l’après-midi du 11 février 2025 pour avoir violé une condition de libération, soit l’interdiction de se rendre à un centre commercial de Toronto. Il était arrivé à une succursale de banque du centre commercial dans un état d’agitation, croyant que quelqu’un avait accédé à son argent de façon illégitime. L’AT no 1 et l’AT no 2 ont mis le plaignant sous garde. Comme le plaignant saignait du visage, une ambulance a été appelée sur les lieux. Les ambulanciers ont pansé la blessure et sont repartis, puisque le plaignant avait refusé d’être conduit à l’hôpital quand ils le lui avaient offert.
Le plaignant a été amené au poste de la division 31, où il a été enregistré et où lui et ses vêtements ont été fouillés, sans que rien ne soit trouvé. Lorsque l’agent chargé de l’enregistrement (AI no 1) lui a demandé, il a nié avoir consommé de la drogue ou de l’alcool. Il a aussi déclaré à l’AI no 1 n’avoir aucune drogue en sa possession. Le plaignant a demandé à aller à l’hôpital, et l’AI no 1 a accepté.
L’AT no 1 et l’AT no 2 ont amené le plaignant à l’hôpital. Après la consultation avec un médecin, les agents ont conduit le plaignant au poste de la division 32, où il a été amené devant l’AI no 2 avant d’être placé dans une cellule.
Vers 19 h 30, le plaignant a été placé dans une cellule. Peu après, il a semblé avaler quelque chose après avoir manipulé ses chaussures. Autour de 23 h 30, le TES no 1 et le TES no 2 ont pénétré dans la cellule du plaignant et l’ont trouvé inconscient, mais respirant toujours.
Des ambulanciers sont ensuite arrivés à la cellule et il ont emmené le plaignant pour le transporter à l’hôpital, où il a été admis aux soins intensifs. Le plaignant a reçu son congé de l’hôpital le 17 février 2025.
Dispositions législatives pertinentes
L’article 215 du Code criminel : Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence
215 (1) Toute personne est légalement tenue :
c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.
(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.
Les articles 219 et 221 du Code criminel : Négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles
219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,
montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.
221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Analyse et décision du directeur
Le plaignant s’est retrouvé dans un état critique tandis qu’il était sous la garde du Service de police de Toronto le 11 février 2025. L’UES a été avisée de l’incident et a entrepris une enquête, en désignant les AI nos 1 et 2 comme agents impliqués. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués a commis une infraction criminelle en relation avec le problème de santé du plaignant.
Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Un simple manque de diligence ne suffit pas à engager la responsabilité pour ces deux infractions. Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances. La deuxième correspond aux cas encore plus graves de conduite qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Pour que cette infraction soit établie, il faut notamment que la négligence constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à une norme de diligence raisonnable. En l’espèce, il faut donc déterminer si l’un ou l’autre des agents impliqués a fait preuve d’un manque de diligence qui a mis en danger la vie du plaignant ou a contribué à le plonger dans un état critique, et si ce manque était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.
J’estime que la mise sous garde du plaignant par la police était justifiée vu les événements qui sont survenus et qui ont précédé le moment où il s’est retrouvé dans un état critique. Le plaignant avait enfreint une condition de libération et s’était rendu au centre commercial parce qu’il était en colère à cause de problèmes avec sa banque.
J’estime également que le personnel du poste de police qui s’est occupé du plaignant a fait le nécessaire pour assurer son bien-être pendant qu’il était sous garde. Le plaignant a fait l’objet d’une fouille apparemment approfondie de lui-même et de ses vêtements à son arrivée au poste de la division 31, qui n’avait permis de trouver rien d’inquiétant. Il semble aussi que, pendant qu’il se trouvait dans une cellule du poste de la division 32, le plaignant était sous une surveillance constante exercée par des agents spéciaux qui avaient reçu le mandat de le superviser. Même si on peut considérer que l’ingestion apparente d’une substance illicite par le plaignant aurait pu être détectée plus vite et même qu’il aurait été possible de l’empêcher si des vérifications plus fréquentes avaient été effectuées, il reste que le plaignant ne semblait pas être un prisonnier présentant des risques élevés et nécessitant une surveillance étroite, puisqu’il semblait tout à fait lucide et qu’il avait nié être en possession de drogue. Le fait que le plaignant n’a pas été fouillé de nouveau lorsqu’il est arrivé au poste de la division 32 après son passage à l’hôpital est quelque peu préoccupant. Les gardiens du plaignant n’ont pas cru qu’une autre fouille était justifiée puisqu’il avait déjà été vérifié et qu’il était demeuré constamment sous la garde de la police depuis son arrivée aux postes des divisions 31 et 32. Par contre, ce raisonnement ne tient pas compte des moments où le plaignant était resté seul à l’hôpital, que ce soit en se rendant aux toilettes ou durant sa consultation avec un médecin. Quoi qu’il en soit, supposer que le plaignant a pu se procurer des substances illicites pendant ce temps ne serait que pure spéculation. Il est bien plus probable, à mon avis, que les substances étaient déjà dissimulées sur le plaignant lui-même ou dans ses vêtements au moment de son arrestation et que les agents qui l’ont fouillé au poste de la division 31 ne les aient tout simplement pas trouvées, malgré une fouille qui semble avoir été effectuée de manière professionnelle.
Pour les raisons qui précèdent, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.
Il semble que la notification tardive de l’incident à l’UES par le service de police puisse contrevenir à l’article 16 de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Le plaignant inconscient a été examiné par des ambulanciers du poste de la division 32 vers 23 h 45 le 11 février 2025, mais l’incident n’a été signalé à l’UES que vers 7 h 40 le lendemain. Je compte soulever ce point dans ma lettre au chef de police. De plus, en vertu de l’article 35.1 de la même loi, je compte aussi soumettre cette anomalie à l’examen de l’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre.
Date : Le 28 mai 2025
Approuvé par voie électronique
Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
Notes
- 1) À moins d’avis contraire, les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]
- 2) Les enregistrements contiennent des renseignements personnels confidentiels qui ne peuvent être divulgués, conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les renseignements utiles pour l’enquête sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
- 3) D`après le Service de police de Toronto, la caméra filmant la cellule comportait un détecteur de mouvement qui la déclenchait et qui occasionnait des pauses dans l’enregistrement. [Retour au texte]
Note:
La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.