Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-022

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par une femme de 31 ans (la « plaignante »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 2 février 2020, la Police régionale de Peel (PRP) a avisé l’UES de ce qui suit :

Le 31 janvier 2020, à 23 h 30, des agents du Bureau des enquêtes criminelles (BEC) ont repéré un véhicule volé et ont commencé à le suivre. La conductrice du véhicule a vu la police et pris la fuite. Peu après, des agents en uniforme ont remarqué le véhicule volé et ont transmis par radio son emplacement aux agents du BEC.

Les agents du BEC ont recommencé à suivre le véhicule et sont entrés dans la région de York. Dans le secteur de 16th Sideroad et de la rue Dufferin, la conductrice a perdu le contrôle du véhicule et a heurté un banc de neige. La conductrice (la plaignante) et le passager (le témoin civil), ont ensuite été arrêtés. La plaignante a été emmenée à l’Hôpital Credit Valley (HCV), où on lui a diagnostiqué une fracture de l’index droit.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Plaignants

Plaignant : Femme de 31 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue
AT no 6 A participé à une entrevue
AT no 7 A participé à une entrevue


Agents impliqués

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit à l’intersection de la rue Dufferin et de 16th Sideroad. La limite de vitesse affichée est de 80 km/h sur la rue Dufferin et de 40 km/h sur 16th Sideroad. Les enquêteurs ont examiné les lieux et pris des mesures pour dessiner un schéma à l’échelle. À l’arrivée des enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires (SSJ) de l’UES, aucun des véhicules impliqués n’était sur les lieux. Il y avait des traces de pneus menant à un point d’impact mineur dans un banc de neige, au coin nord-ouest de l’intersection.

Un SSJ de l’UES s’est rendu à la division 22 de la PRP et a photographié les cinq véhicules de police impliqués. Aucun ne présentait de dommages visibles. [1]

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis la PRP :
  • Chronologie de l’incident;
  • Liste des véhicules impliqués et de leurs propriétaires;
  • Notes de tous les ATs;
  • Rapport sur l’incident;

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

Les documents suivants ont été obtenus d’autres sources :
  • Rapport d’appel d’ambulance;
  • Dossier médical de l’Hôpital Civic de Brampton (HCB) pour le TC; et
  • Dossier médical de l’Hôpital Credit Valley pour la plaignante.

Description de l’incident

Le 31 janvier 2020, vers 23 h 31, l’AT no 2 a remarqué un véhicule suspect. Une vérification de la plaque d’immatriculation a révélé que ce véhicule avait été signalé comme disparu. L’AT no 2 a suivi la fourgonnette à distance tout en prenant les dispositions nécessaires pour qu’un agent en uniforme dans un véhicule de police identifié l’intercepte. Un agent en uniforme a tenté d’intercepter la fourgonnette, mais la plaignante a pris la fuite. Par la suite, des membres du BEC dans des véhicules de police banalisés ont suivi la fourgonnette. À l’entrée de la ville de King, la plaignante a perdu le contrôle de la fourgonnette et a heurté un banc de neige, à l’intersection de 16 th Sideroad et de la rue Dufferin. Alors que la plaignante et le TC tentaient de dégager la fourgonnette du banc de neige, les agents du BEC se sont approchés pour les arrêter.

L’AI s’est occupé de la plaignante et l’AT no 5 du TC. Lorsque la plaignante et le TC ont commencé à résister physiquement, l’AT no 7 a prêté main-forte à l’arrestation la plaignante tandis que l’AT no 2, l’AT no 6, l’AT no 1, l’AT no 3 et l’AT no 4 ont aidé à arrêter le TC.

L’AI a saisi la plaignante, qui était debout à côté de la camionnette, par l’épaule droite de sa veste et l’a tirée pour la mettre à plat ventre au sol, tout en lui disant qu’elle était en état d’arrestation. Une fois à terre, la plaignante a mis ses mains sous sa poitrine et a refusé de se laisser menotter, alors que l’AI lui criait à plusieurs reprises de tendre les mains. La plaignante a été vue crier, hurler, essayer de se dégager de l’AI et de se relever en prenant appui sur ses coudes pendant que l’AI lui criait de cesser de résister.

Au même moment, six autres agents s’occupaient du TC, l’AT no 6 criant que le TC avait un couteau sur lui. La scène a été décrite comme chaotique et évoluant très vite. Le TC, qui avait également placé ses mains sous son corps, donnait des coups de pied, balançait les bras dans tous les sens et résistait à son arrestation.

L’AI, qui était à droite de la plaignante suivant un angle, l’a frappée trois fois de la main aux côtes droites afin de la distraire suffisamment pour qu’elle cesse de résister et qu’il puisse lui saisir les mains. Les coups semblent avoir été efficaces et l’AI, en appuyant du genou droit sur le bas du dos de la plaignante, a dégagé un des bras de la plaignante. L’AT no 7 s’est alors approché pour l’aider et les deux agents ont finalement réussi à maîtriser les deux bras de la plaignante et à la menotter. La plaignante a été relevée et éloignée de la camionnette.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 31 janvier 2020, des agents du BEC de la PRP suivaient un véhicule volé conduit par la plaignante, avec le TC comme passager, lorsque la plaignante a coincé le véhicule dans un banc de neige. Les agents se sont avancés pour arrêter la plaignante et le TC. L’AI s’est occupé de l’arrestation de la plaignante, tandis que d’autres agents s’occupaient du TC.

À la suite des arrestations et lors de l’admission au poste de police, il a été allégué que la plaignante avait une blessure au doigt. On l’a donc conduite à l’hôpital. Une fois à l’hôpital, une radiographie a révélé que la plaignante avait une fracture à un doigt de la main droite.

Dans le cadre de leur enquête sur les circonstances entourant la blessure de la plaignante, les enquêteurs de l’UES se sont entretenus avec elle et son passager, le TC, ainsi qu’avec l’AI et sept agents témoins. L’UES a également obtenu et examiné les dossiers médicaux de la plaignante et du TC. Il n’y avait aucun témoin civil indépendant de l’incident; aucune vidéo de caméra de surveillance pertinente pour l’enquête n’a été trouvée. Après avoir examiné les éléments de preuve et pour les raisons qui suivent, je ne peux pas conclure que la force utilisée contre la plaignante était excessive et je n’ai donc aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis un acte criminel en lien avec sa blessure.
Certains éléments de preuve suggèrent qu’après avoir heurté le banc de neige, la plaignante a obéi aux ordres de la police de se mettre à terre en se mettant à genoux, après quoi un agent – présumément l’AI – l’aurait poussée par terre par et lui aurait donné une vingtaine de coups de pied à la tête et dans les côtes. Selon cet élément de preuve, la plaignante a levé les mains pour protéger sa tête et son visage, et elle a reçu à ce moment-là des coups de pied sur la main, ce qui a causé sa blessure.

L’élément de preuve incriminant suggère aussi que lors de son interaction avec la police devant le banc de neige, la plaignante hurlait, mais qu’un agent (présumément l’AI) a placé son pied sur sa mâchoire. Cette preuve incriminante allègue en outre que chaque fois que le TC ou la plaignante parlaient, on leur assénait des coups de pied au visage et que le TC avait ainsi reçu entre une et trois douzaines de coups tandis que la plaignante en avait reçu un nombre encore plus élevé.

Malgré la brutalité de la part de la police que suggèrent ces éléments de preuve incriminants, à savoir que la plaignante a été violemment et brutalement agressée avec des dizaines de coups de pied à la tête et au corps, je note que son dossier médical n’étaye pas ces allégations. Les blessures que révèlent les dossiers de la plaignante se limitent à un doigt cassé. Si la plaignante avait effectivement été frappée à la tête et au corps par plusieurs agents de police, chacun portant vraisemblablement des chaussures ou des bottes, je me serais attendu à voir des blessures beaucoup plus graves. Il convient de noter que le personnel médical n’a constaté aucune ecchymose ou autre blessure sur la plaignante. En raison de ces incohérences, qui compromettent gravement la fiabilité des éléments de preuve incriminants, je conclus que je ne peux pas accepter cette version des faits, qui décrit la plaignante comme se mettant volontairement à genoux malgré ses efforts antérieurs pour échapper à la police en accélérant au volant du véhicule. Je trouve qu’il est beaucoup plus probable, comme l’ont déclaré chacun des huit agents de police présents, que la résistance de la plaignante, qui a commencé par sa fuite rapide pour échapper à un véhicule de police identifié, s’est poursuivie pendant son arrestation. J’accepte aussi que les agents, après que la plaignante et le TC ont tenté de leur échapper, se sont immédiatement approchés et les ont plaqués à terre, au lieu d’attendre de voir s’ils se mettraient volontairement à genoux et obéiraient à leurs ordres.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police, s’ils agissent pour des motifs raisonnables, peuvent recourir à autant de force que nécessaire pour l’exécution d’une fonction légitime. Ayant appris que la plaignante conduisait un véhicule dont le vol avait été signalé et qu’elle s’était enfui lorsqu’un agent en uniforme avait tenté de l’intercepter pour enquêter sur le véhicule, l’AI avait des motifs raisonnables de l’arrêter pour l’infraction de possession d’un véhicule volé. L’AI agissait donc dans le cadre de ses fonctions légales lorsqu’il a arrêté la plaignante.

Le comportement agressif décrit par l’élément de preuve incriminant, s’il était accepté, serait considéré comme excessif et constituerait la base d’accusations criminelles. Toutefois, j’estime qu’il serait dangereux de s’appuyer sur cet élément de preuve pour former des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise par l’AI ou tout autre agent présent à l’arrestation, car cet élément de preuve est manifestement peu fiable.

Même s’il est possible que la plaignante ait subi sa blessure lorsque l’AI l’a plaquée à terre, je suis convaincu, d’après les éléments de preuve fiables, que le degré de force auquel l’AI a eu recours était raisonnablement nécessaire dans les circonstances, puisque la plaignante avait résisté tout au long de son interaction avec la police. J’estime que le fait de mettre la plaignante à terre n’était pas excessif dans les circonstances, pas plus que les trois coups rapides aux côtes, car elle résistait aux efforts de l’AI pour la menotter. Je ne suis donc pas en mesure de former des motifs raisonnables de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec la blessure de la plaignante. Par conséquent, aucune accusation ne sera portée et ce dossier est clos.


Date : 1er juin 2020

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Le 1er février 2020, un SSJ de l'UES s'est rendu à JA Towing pour prendre des photos d'une Ford Econoline. À son arrivée, il a appris que la fourgonnette avait été remise au propriétaire légitime. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.