Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-TCI-107

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par une femme de 75 ans (la « plaignante »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 10 mai 2020, à 11 h 21 du matin, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES d’une blessure subie par la plaignante et donné le rapport qui suit.

Le 10 mai 2020, à 5 h 20 du matin, le Groupe d’intervention d’urgence (GIU) et le groupe d’intervention contre les bandes criminalisées et les armes à feu (GIBCAF) du SPT ont exécuté un mandat de perquisition au domicile de la plaignante situé Shady Pine Circle, à Brampton. Un dispositif de distraction a été déployé dans l’entrée de la maison; la plaignante est tombée de son lit et s’est blessée au bras. Elle a été amenée à l’Hôpital Civic de Brampton (HCB) où on lui a diagnostiqué une fracture de l’ulna (cubitus) et du radius au poignet gauche.

Les lieux n’ont pas été sécurisés, mais des photographies ont été prises. 

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Plaignante :

Femme de 75 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue
AT no 6 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 7 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 8 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 9 A participé à une entrevue
AT no 10 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 11 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 12 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire
AT no 13 Notes examinées, entrevue jugée non nécessaire


Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Éléments de preuve

Les lieux

La perquisition a eu lieu dans une maison individuelle à deux étages située Shady Pine Circle, à Brampton. Comme l’UES a été avisée quelque temps après l’incident et que les lieux n’avaient pas été sécurisés, il n’y avait pas de scène à examiner. Les photographies prises par les agents du SPT ont été remises à l’UES.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé.

Enregistrements des communications de la police

Vers 5 h 28 du matin, une transmission est enregistrée indiquant l’exécution prévue d’un mandat de perquisition.

À 7 h 59, une transmission de l’AT no 4 est enregistrée indiquant que « tout est réglé ».

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du SPT :
  • Rapport général d’incident;
  • Rapport de détails d’événement du système Intergraph de répartition assistée par ordinateur;
  • Notes de tous les ATs;
  • Ordonnance de scellement et mandat de perquisition ¬– la maison de la plaignante sur Shady Pine Circle;
  • Photos des lieux prises par le SPT;
  • Enregistrements des communications;
  • Document du SPT ¬– entrée par le GIU;
  • Document du SPT – G et équipe G.

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

En plus des documents et autres éléments reçus du SPT, l’UES a obtenu auprès d’autres sources les documents suivants qu’elle a examinés :
  • Dossiers médicaux – Hôpital Civic de Brampton;
  • Rapports sommaires d’incident et rapport d’appel d’ambulance des Services médicaux d’urgence de Toronto (SMUT).

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage du poids des éléments de preuve recueillis par l’UES, qui comprenaient des entrevues avec la plaignante et avec son fils (le TC), qui était présent au moment de l’incident, ainsi qu’avec des membres du GIU et du GIBCAF qui ont participé à l’exécution du mandat de perquisition. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme il en avait le droit.

Le 10 mai 2020, vers 6 h 30 du matin, des agents du GIU sont entrés en force dans une maison à deux étages de Shady Pine Circle, à Brampton. Le GIU était là pour aider une équipe du GIBCAF qui avait un mandat de perquisition pour rechercher une arme à feu illégale dans cette maison. Il était prévu que le GIU entrerait dans la maison en premier afin de régler tout problème de sécurité avant que les membres du GIBCAF n’entrent eux-mêmes à la recherche d’éléments de preuve.

Les membres du GIU se sont regroupés devant la maison puis ont ouvert de force la porte d’entrée. L’AI a alors déployé un dispositif de distraction. Les agents du GIU ont fait le tour de la maison à la recherche d’occupants. L’homme visé par l’enquête sur l’arme à feu illégale a été repéré au deuxième étage et arrêté. Une fouille ultérieure de la maison a abouti à la saisie d’une arme à feu.

La plaignante était dans la maison au moment de l’entrée du GIU. Elle s’est dirigée vers l’escalier. Des agents du GIU ont dû passer devant elle pour se rendre au deuxième étage. Un autre membre de l’équipe, l’AT no 5, est arrivé à l’endroit où se trouvait la plaignante et l’a escortée jusqu’au rez-de-chaussée, où on l’a fait s’assoir à la table de la salle à manger.

Une fois dans la salle à manger, la plaignante s’est plainte d’avoir mal au poignet gauche. Avec l’aide d’un agent qui a servi d’interprète, la plaignante a dit qu’elle s’était blessée en tombant par terre lorsqu’elle a été surprise par l’entrée des agents et le dispositif de distraction qu’ils ont déployé. Après avoir initialement refusé d’être transportée à l’hôpital, la plaignante a été emmenée par des ambulanciers à Hôpital Civic de Brampton, où ses blessures ont été diagnostiquées.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219, Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Article 221, Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Analyse et décision du directeur

Le 10 mai 2020, la plaignante a subi une fracture du cubitus et du radius au poignet gauche quand des agents du GIU du SPT sont entrés chez elle en vertu d’un mandat de perquisition ou peu après. Un des membres du GIU – l’AI – a été identifié comme étant l’agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle à l’égard des blessures de la plaignante.

La seule infraction à prendre en considération en l’espèce est la négligence criminelle causant des lésions corporelles, une infraction visée par l’article 221 du Code criminel. La culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué et important par rapport au niveau de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. En l’espèce, je suis convaincu, pour des motifs raisonnables, que ni le GIU, ni – plus précisément – l’AI, n’ont transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel.

Il faut d’abord noter que les agents détenaient un mandat apparemment valide les autorisant à pénétrer dans les lieux pour effectuer une perquisition. Au moins au début, donc, leur présence dans la maison en soi semble légale. La question porte alors sur la manière dont ils sont entrés dans la maison.

Le GIU était là pour aider le GIBCAF à exécuter le mandat en effectuant une entrée dynamique dans la maison. Comme le juge Code l’a décrit dans R. c. Thompson, 2010 ONSC 2862 au par. 7, une entrée dynamique sera généralement effectuée par une équipe tactique et présentera les caractéristiques suivantes : [traduction] « Aucun avis ou annonce préalable n’est fait aux occupants du logement; un bélier est utilisé pour ouvrir la porte, sans essayer d’abord la poignée de la porte pour voir si elle est ouverte; un engin explosif est alors déployé à l’intérieur de la maison qui fait un bruit très fort et émet une lumière vive (connu sous le nom de “dispositif de distraction” ou “flash bang”); des agents d’intervention tactique fortement armés pénètrent alors dans les locaux et les sécurisent en pointant leurs armes à feu sur les occupants, en leur ordonnant de s’allonger par terre, en les menottant puis en les faisant sortir de la maison sous la garde de la police; les agents chargés de fouiller les lieux entrent alors et l’équipe d’intervention tactique s’en va. » Ce genre d’entrée profite de l’effet de surprise et de la démonstration d’une force importante pour neutraliser toute menace que les occupants de la maison pourraient poser pour la sécurité des agents et pour éviter que des éléments de preuve à l’intérieur du domicile ne soient détruits.

À mon avis, à cause de la présence possible d’une arme à feu dans la maison, l’entrée dynamique était justifiée par une préoccupation légitime et raisonnable pour la sécurité des agents. [1] La recherche d’une arme à feu illégale faisait d’ailleurs l’objet du mandat de perquisition. De plus, il ne semble pas que les agents aient été indûment agressifs dans la manière dont ils se sont déplacés dans la maison après leur entrée par la porte principale. En fait, après avoir remarqué une femme âgée effrayée et confuse en haut de l’escalier, des efforts ont été faits pour l’escorter prudemment jusqu’au rez-de-chaussée où les agents se sont enquis de son bien-être.

Il est à noter qu’au cours de son enquête, l’UES a découvert des éléments de preuve selon lesquels la plaignante ne s’est pas blessée au moment du déploiement du dispositif de distraction; elle était plutôt dans l’escalier lorsqu’elle est soudainement tombée, s’est relevée et a constaté qu’elle ne pouvait pas prendre appui sur son bras gauche. Dans les circonstances, on ne sait pas vraiment comment la plaignante a subi ses blessures ni si c’est l’entrée dynamique des policiers qui les a provoquées.

Quoi qu’il en soit, même en présumant que la plaignante a été surprise et est tombée par terre suite au déploiement du dispositif de distraction, je ne peux pas conclure raisonnablement que les agents aient fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité des personnes qui étaient dans la maison lorsqu’ils sont entrés. Pour réitérer, la preuve suggère que le recours à une entrée dynamique était raisonnable étant donné la possibilité réelle que le suspect soit présent à l’intérieur et en possession d’une arme à feu illégale. Il n’y a pas non plus d’élément de preuve établissant que les agents aient maltraité la plaignante de quelque façon que ce soit. En dernière analyse, même s’il se peut fort bien que les blessures de la plaignante aient été liées au traumatisme et à la confusion provoqués par le déploiement du dispositif de distraction, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour croire raisonnablement que la conduite des agents durant leur entrée dynamique, y compris l’utilisation de l’appareil de distraction par l’AI, s’écartait de façon marquée et importante d’un niveau de diligence raisonnable.

Pour les motifs qui précèdent, Il n’y a donc aucune raison de porter des accusations criminelles contre l’agent, et le dossier est clos.


Date : 9 novembre 2020

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Même avec un mandat valide, les agents de police ne peuvent pas, en règle générale et en l'absence de situation d'urgence, entrer légalement dans une maison d'habitation sans d'abord donner avis de leur présence en frappant ou en sonnant à la porte, en s’identifiant comme agents de police et en énonçant leur motif légitime d’entrer. R. c. Cornell, [2010] 2 RCS 142. Dans ce contexte, la question est de savoir si les policiers avaient des inquiétudes raisonnables justifiant leur entrée dynamique. Pour les raisons exposées dans cette décision, je conclus dans l’affirmative. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.